21 février 2025 Documenter la transformation numérique Le pouvoir de manipuler des objets anciens et fragiles
Par Martine Rioux
S’il existe une technologie qui suscite énormément d’intérêt de la part des institutions muséales en ce moment, c’est bien la numérisation 3D. Effectivement, cette pratique permet de rendre accessible une panoplie d’objets qui ne pourraient être dévoilés autrement au public. Elle permet également de présenter d’autres artefacts sous différents angles, complètement inédits.
Le chantier de numérisation a débuté 2015 au Musée. Il s’agissait alors de prise de photographies, donc de numérisation 2D, sur plusieurs faces d’un objet. Cette numérisation visait à donner accès à la collection sur le site Web Collections en ligne, et est soutenue financièrement par le Plan culturel numérique du gouvernement du Québec.
En ce qui concerne la numérisation 3D, des expérimentations ont été faites à partir de 2017. La première démarche d’importance a été la numérisation 3D de visages et de têtes complètes pour l’exposition Mon sosie a 2000 ans. Dans cette exposition, des copies en impression 3D des têtes des sosies accompagnaient les sculptures antiques. Par la suite, des objets ont aussi été numérisés pour que le public puisse créer dans le MLab Creaform, et d’autres pour l’exposition en ligne Effets spéciaux.
« La technologie en elle-même n’est pas si nouvelle. Cependant, il s’agit probablement de l’une des technologies qui attire le plus l’attention dans les musées présentement », explique Anne Laplante, archiviste principale au Musée de la civilisation (MCQ). À preuve, le Musée national des beaux-arts du Québec a récemment produit un Guide de numérisation 3D d’œuvres d’art, qui devient une référence.
D’où vient cet engouement? « La numérisation 3D ouvre un monde de possibilités pour les approches de médiation. Elle donne accès à des objets qui, en raison de leur fragilité et de leur ancienneté, ne peuvent pas sortir de la réserve. Certains artefacts ne peuvent être manipulés que par l’équipe de conservation. En leur donnant une vie numérique, il est possible pour le visiteur de les manipuler et de les visualiser. C’est d’une richesse extraordinaire », fait valoir Anne Laplante. La numérisation permet même, dans certains cas, d’archiver des données précises sur les objets, qui eux, sont parfois éphémères.
La visualisation des objets numérisés en 3D peut se faire sur un écran d’ordinateur, à travers des lunettes de réalité virtuelle. De nouveaux écrans projetant des images 3D que l’on peut voir sans lunettes commencent aussi à faire leur entrée sur le marché. C’est entre autres le cas de ceux développés par la startup de Québec, Aye3D, que le Musée a pu tester récemment.
Par ailleurs, la numérisation 3D permet aussi de créer des mises en scène autour de certains objets, de raconter leurs histoires, en rendant possible notamment leur observation sous différents angles autrement inaccessibles. Les personnes qui ont déjà mis les pieds au
MCQ connaissent la barque en bois qui se trouve dans le hall d’entrée principal. Celle-ci avait été trouvée lors des fouilles archéologiques pendant la construction de l’établissement.
Dans le cadre d’un partenariat avec l’entreprise Creaform, qui se spécialise dans les technologies de mesure 3D portables, la barque a pu être numérisée. On devine que la grosseur de l’objet représentait un défi. Il a d’ailleurs fallu plusieurs heures pour compléter sa capture numérique. Le résultat permet aujourd’hui au public de la découvrir d’une manière inédite en se rendant dans le MLab Creaform.
Expérimentation et collaboration
Bien qu’elles avaient commencé avant, les expérimentations autour de la numérisation 3D se sont accélérées au MCQ depuis la mise en place, en 2018, du MLab Creaform. Dans le cadre de son partenariat avec le Musée, l’entreprise de la Rive-Sud de Québec a prêté un scanneur 3D à lumière blanche GoScan. Depuis cinq ans, il est utilisé par l’équipe muséale pour explorer son potentiel technologique. Les visiteuses et visiteurs du laboratoire peuvent le manipuler et faire quelques tests.
Des défis se sont posés pour certains objets qu’il est impossible de toucher, même par l’équipe de conservation. Pas question de mettre un capteur sur l’objet pour plus de précision, ni même d’apposer une pellicule protectrice. De même, certains objets aux formes irrégulières et certains matériaux (ex. : verre, métal lisse ou luisant) ont causé quelques maux de tête. Et certains types d’objets ne peuvent pas du tout être numérisés! C’est justement à cela que sert l’expérimentation : à identifier des défis et à développer de bonnes pratiques!
Des salles d’exposition complètes ont aussi été numérisées avec la technologie Matterport, qui fait de la captation 360 degrés. Il est ensuite possible de présenter les expositions virtuellement à d’autres musées qui souhaiteraient les accueillir en itinérance ou de les ajouter à titre de visites virtuelles sur le site Web du MCQ.
Dôme numériseur
Par le biais d’un appel à projet d’expérimentation, grâce au soutien financier de la Stratégie de développement économique de la Ville de Québec, le MCQ a pu pousser le processus expérimental plus loin en 2020. En collaboration avec Nemesis, une entreprise de développement de logiciel de numérisation, et Expertise laser 3D – iSCAN 3D, une entreprise de service en numérisation 3D, le Musée a participé au prototypage d’un dôme numériseur exploitant la photogrammétrie.
Il s’agissait alors de construire un dispositif de captation, sous forme de dôme, qui permettrait de réduire le plus possible le temps de manipulation pour numériser un objet, tout en réduisant les coûts associés. Ce type de dôme est déjà utilisé dans l’industrie cinématographique, mais demeure pratiquement absent du domaine muséal. La photogrammétrie, qui consiste à prendre une grande quantité de photos d’un objet, afin de pouvoir le reconstituer en 3D par la suite, a été utilisée pour ce prototype.
L’objectif ultime était de permettre aux équipes muséales de faire de la numérisation plus aisément. Même si le projet-pilote est maintenant terminé avec le MCQ, iScan souhaite poursuivre le développement de la technologie de son côté.
Des enjeux autour de la propriété intellectuelle
La numérisation 3D ne pose pas que des enjeux techniques. Au fur et à mesure que les expérimentations se déroulent, des questions en lien avec l’éthique, la propriété intellectuelle et les droits d’auteur se sont posées. Comment nommer et entreposer les fichiers numériques des objets 3D? Qui peut accéder à ces fichiers? Est-ce possible de les transférer à quelqu’un? De les revendre? Est-ce que tous les objets peuvent être numérisés? La numérisation d’un objet devrait-elle être incluse dans les contrats? En termes de droit d’auteur, le fichier de l’objet appartient-il à la même personne que l’objet lui-même?
« Ce sont des questions importantes auxquelles nous sommes sensibles. Nous en discutons aussi avec d’autres institutions. De nouvelles technologies de numérisation apparaissent constamment sur le marché, donnant des résultats de plus en plus précis. C’est le cas de la technologie NeRF (Neural Radiance Field), qui est en fait de l’IA. Le potentiel est là, mais nous devons prendre le temps de bien faire les choses », conclut Anne Laplante.
Technologies à l’essai
Trois technologies de numérisation 3D ont été expérimentées dans les dernières années par diverses équipes du Musée, afin de se familiariser avec leurs approches, avantages et inconvénients. Bien que des expérimentations aient été déployées et même des utilisations pour des expositions, la numérisation 3D des objets de la collection n’est pas priorisée en ce moment.
- Intrant
Les images sont prises en continu tout autour d’un objet à partir de différents angles. - Méthode
La position du numériseur est déterminée par trigonométrie avec l’aide de la géométrie de l’objet, des cibles ou des points de texture. La déformation de la lumière blanche sur la pièce est enregistrée par des caméras sur l’ensemble du motif lumineux pour créer une surface. - Extrant
Un modèle 3D avec des textures et une acquisition des géométries, ainsi que des détails dans une riche palette de couleurs.
- Intrant
Des photos sont prises tout autour d’un objet à partir de différents angles. - Méthode
Corrélation entre les principaux points caractéristiques de l’objet à partir de photos adjacentes ou qui se chevauchent. Utilisation de la trigonométrie pour construire l’image de l’objet. - Extrant
Un modèle 3D construit à partir d’un maillage des points et des textures.
- Intrant
Des photos sont prises tout autour d’un objet à partir de différents angles. - Méthode
Utilisation de la « magie des réseaux neuronaux » pour créer une scène complète à partir des photos prises. - Extrant
Une scène 3D qui peut être vue de n’importe quel point de vue.
Rédactrice et gestionnaire de projets d’éditions numériques
Martine Rioux
Au fil de ses expériences, Martine Rioux a développé une solide expertise en lien avec la transformation numérique dans divers secteurs d’activités (éducation, culture, administration publique, etc.). Elle maîtrise les subtilités de l’univers numérique, ses enjeux, ses possibilités et sait les vulgariser en deux clics de souris. Elle carbure au travail d’équipe, à la collaboration et à la réalisation de projets concrets. Pragmatique, dans les faits et l’action, elle aime avoir un impact dans la société et entrer en contact avec une multitude d’humains.
À propos de Documenter la transformation numérique
Dans le but de mettre en valeur l’expertise acquise à la suite de la mise en œuvre de sa stratégie numérique 2019-2022, le Musée de la civilisation propose une série de billets. Ces billets ont pour objectif de documenter la transformation numérique et de partager la démarche de réalisation de certains projets. Le présent texte fait partie de cette série.