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20 juillet 2023 La greffe de caca : un remède miracle?

En cas d’urgence, vous n’hésiteriez certainement pas à recevoir une transfusion de sang ou à vous faire transplanter un organe sain pour remplacer un rein ou un cœur déficient. Mais accepteriez-vous d’accueillir dans votre système des matières fécales provenant d’un inconnu?

Si vous avez grimacé en lisant cette question, vous n’êtes probablement pas seul. L’unique fait de penser aux déjections humaines suscite chez certains un profond sentiment de répulsion. Rien d’étonnant : depuis notre plus tendre enfance, nous avons appris à considérer nos excréments comme une source potentielle de danger et d’infection.

Au fil des progrès technologiques, nous avons développé des systèmes de plus en plus sophistiqués pour les éloigner de nos milieux de vie. Et bien avant que la pandémie ne s’abatte sur nous, on nous a inculqué que le lavage des mains était essentiel après chaque visite au petit coin.

Mais tout comme le feu peut être à la fois agent de destruction et source de chaleur, les excréments humains ont le pouvoir d’infecter et de guérir. Et si vous croyez que l’idée de faire circuler des selles d’un organisme à un autre revient à quelques illuminés de la médecine alternative, vous faites erreur. La science s’intéresse de plus en plus aux bienfaits de ce que l’on appelle la transplantation de matières fécales, ou TMF pour les intimes, qui pourrait bientôt devenir un traitement aussi banal et efficace que la transfusion sanguine.

Le pouvoir des matières fécales

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Reconstruire le microbiote

Si elle fait partie de l’arsenal officiel de la médecine occidentale depuis peu, l’utilisation médicinale des selles humaines n’est pas un concept novateur pour autant. Dès le IVe siècle, des médecins et apothicaires chinois la suggéraient pour traiter des cas de diarrhée. Grâce à un certain Ge Hong, on sait même que le remède portait le nom appétissant de « soupe dorée », ce qui vous donne une idée de la méthode d’administration. Cet étrange remède sera documenté douze siècles plus tard par le grand Li Shizhen, auteur d’une colossale somme sur la pharmacopée traditionnelle chinoise.

« Mais l’utilisation dans un cadre plus scientifique a débuté dans les années 1950, précise la microbiologiste et infectiologue québécoise Nathalie Turgeon. On a fait des essais plutôt anecdotiques, puis, dans les années 1980, on a commencé à s’y pencher plus sérieusement, en raison de l’éclosion massive d’infections récidivantes à Clostridium difficile, pour lesquelles la TMF est extrêmement efficace. »

Cette infection, causée par la bactérie du même nom, produit des toxines pouvant occasionner de graves problèmes intestinaux. La plupart d’entre nous peuvent y résister, mais chez certains patients hospitalisés, en particulier sous antibiotiques, elle peut avoir des conséquences funestes. « Le problème des antibiotiques, on le sait, est qu’ils agissent sur l’ensemble des bactéries, bonnes et mauvaises, ce qui déséquilibre complètement notre microbiote, qu’on appelle aussi flore intestinale, explique la docteure Turgeon. En l’absence de bonnes bactéries, Clostridium difficile peut s’installer à son aise; il a toute la place. L’idée de la greffe de selles est de reconstruire le microbiote. Ce n’est pas celui du patient, mais il a l’avantage de provenir de quelqu’un qui n’a pas de problèmes de santé. »

Les résultats obtenus auprès de patients atteints d’infections à C. difficile n’ont rien d’anecdotique. En 2013, un article publié dans le prestigieux New England Journal of Medicine intitulé « Duodenal Infusion of Donor Feces for Recurrent Clostridium difficile » annonce un taux de guérison entre 80 % et 90 % à la suite d’une greffe de matières fécales, alors que le taux avec antibiotiques avoisinait les 30 %. « Dans ce cas précis, on peut parler de remède miracle », lance Nathalie Turgeon.

Le microbiote décodé

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N’essayez pas cela à la maison

Si on en était encore à l’époque de la fameuse « soupe dorée » de la Chine ancienne, ce remède miracle n’aurait peut-être pas autant d’adeptes dans le monde. On a raffiné les méthodes, retirant peu à peu l’aspect dégoûtant qu’on pourrait associer à l’expérience. « Quand je l’explique aux patients, je dis qu’il s’agit de bactéries dans de l’eau brune!, indique la bactériologiste. La méthode initiale consistait à faire un lavement rectal au patient, puis on a pensé à la coloscopie; mais comme ce n’est pas très plaisant, on a essayé par en haut, en installant un tube nasogastrique, ce qui n’est pas beaucoup plus agréable. La méthode la plus récente consiste à utiliser des capsules contenant des bactéries. C’est un peu plus complexe que les autres méthodes, mais c’est tellement plus facile à administrer et ça permet de conserver les capsules plus longtemps, au congélateur, afin de ne pas perdre trop de bactéries. »

Quant au mode de fabrication – on place de l’eau et des selles dans un mélangeur puis on filtre le tout pour ne garder que les bactéries –, il est si simple qu’il a même inspiré quelques quidams à s’administrer eux-mêmes des matières fécales, une pratique fortement déconseillée par la scientifique.

Citation
Ça semble simple, mais ça exige de grandes précautions, ce qui explique qu’on n’accepte qu’un très faible pourcentage de donneurs potentiels.

DIY?

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Don de soi

Pour qu’il y ait transplantation, il faut forcément un donneur et un receveur. Si l’on peut facilement imaginer qu’un patient infecté à C. difficile soit très réceptif à toute forme de traitement promettant des résultats aussi spectaculaires, qu’est-ce qui peut bien motiver quelqu’un à faire don de ses selles? Qui sont les donneurs?

Contrairement aux États-Unis, où l’OSBL OpenBiome agit comme une véritable « banque de caca », rémunérant ses donneurs 40 $ pièce, le Canada ne dispose pas de point de chute pour recueillir les précieuses matières fécales. « Les premiers essais impliquaient des proches – membres de la famille, amis – ou du personnel du milieu de la santé, car il faut être près d’un hôpital pour transférer les échantillons au plus vite, mentionne Nathalie Turgeon. Comme on n’a pas de banque centralisée, il est encore difficile d’accueillir des donneurs universels. »

Le qualificatif d’universel peut rappeler les dons de sang, pour lesquels il est impératif de connaître le groupe sanguin du donneur et du receveur pour s’assurer qu’ils sont compatibles. On sait que les individus du groupe O négatif, dits donneurs universels, peuvent offrir leur sang à tout le monde tandis que les personnes du groupe AB positif peuvent en recevoir de tous les groupes. Qu’en est-il du don de selles? Sont-ils limités par les mêmes restrictions? « Non, pas du tout, on peut utiliser sans discrimination les selles d’un même donneur pour plusieurs receveurs », précise la docteure Turgeon.

Ce qui ne veut pas dire que toutes les selles se valent! On ne sait jamais à l’avance ce que recèle le microbiote de tel ou tel individu. Des bactéries bénéfiques peuvent cohabiter avec d’autres qui le sont beaucoup moins, d’où l’importance de sélectionner des donneurs possédant une flore intestinale au profil irréprochable. « C’est un processus extrêmement rigoureux, prévient Nathalie Turgeon. Il faut se méfier des infections potentielles, bien sûr, mais aussi d’autres pathologies. Les recherches sur le microbiome ne font pas que s’intéresser aux métabolismes locaux qui concernent la digestion; on voit de plus en plus de liens potentiels entre le microbiome et des pathologies neurologiques ou métaboliques. On parle aussi de diabète ou de maladies digestives non infectieuses. »

On revient au grand dilemme entourant la TMF. Si notre tractus digestif, en particulier notre intestin, est la cause, comme semblent le croire plusieurs, de pathologies en tous genres, il s’agit certainement d’une zone à haut risque où on se gardera de faire entrer des corps étrangers non identifiés. Pourrait-on transmettre le cancer de l’intestin au moyen d’une greffe? Transformer une personne mince en individu obèse? Ce sont les risques que l’on tente d’écarter en soumettant les donneurs à une batterie intensive de tests rigoureux. Les appelés ne sont pas si nombreux, mais les élus le sont beaucoup moins. Chez OpenBiome, par exemple, on ne retient que 3 % des donneurs potentiels.

« Le donneur idéal doit avoir une santé irréprochable et, bien sûr, son sang ou ses selles doivent être exempts de tout pathogène, explique la docteure Turgeon. Mais ce n’est pas tout : il doit avoir été peu exposé à des situations à risque d’un point de vue épidémiologique, c’est-à-dire qu’il ne doit pas avoir pour habitude de voyager vers des destinations exotiques où il serait susceptible d’attraper des infections transmissibles. Il doit aussi avoir un comportement sexuel jugé sécuritaire, pour éviter de transmettre des maladies encore inconnues. On n’a qu’à penser à l’hépatite C, qu’on ne connaissait pas il y a quelques années à peine. »

Pour l’heure, seules quelques centaines de patients québécois bénéficient de ce type de traitement, que l’on continuera de qualifier de « greffe de caca », en attendant qu’on trouve de nouvelles manières de prélever les précieuses bactéries aux propriétés bénéfiques.

Citation
Pour moi, la plus grande percée scientifique qu’on pourrait espérer serait la culture en laboratoire de ces bonnes bactéries. On pourrait éventuellement imaginer de recréer en laboratoire un microbiote fécal qui nous permettrait d’en identifier les substances actives, conclut la docteure Turgeon
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Musée de la civilisation, Marie-Josée Marcotte – Icône
Musée de la civilisation, Marie-Josée Marcotte – Icône
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Mieux comprendre les matières fécales

Fèces, excrément, crotte, bouse, poop, bronze, selle, étron, déjection, colombin ou merde… Peu importe comment on le nomme, le caca est un sujet tabou et méconnu. On le qualifie avec vulgarité, on en parle avec humour, mais rarement sérieusement… pourtant il y a tant à dire et à apprendre sur cette matière organique universelle! Tout le monde défèque, peu importe son rang social, son sexe ou ses croyances!

À l’heure de l’hypermédiatisation de l’alimentation, de la nutrition, du bien-être et de la conscience corporelle, la merde est complètement «évacuée» du discours culturel et social.

Dans l’exposition Ô merde! qui a été présentée au Musée de la civilisation, on y mettait son nez, pour mieux comprendre son histoire sociale, ses enjeux et sa revalorisation. Une exposition excrêmement riche à visiter jusqu’au 26 mars 2023.

Présenté par les Fonds de recherche du Québec
Article :  Nicolas Tittley