18 février 2021 Expertise muséale Comment la pandémie a transformé nos pratiques et notre vision d’un musée «présent pour sa communauté»
Mars 2020. Dehors, l’hiver insiste encore un peu pour faire sentir sa présence. À l’intérieur, chacun dans son cubicule ou ce qui en tient lieu, nous sommes tous bien absorbés dans nos projets, à relever nos petits et grands défis…
Le mien, c’est d’accroitre un tant soit peu la pertinence et la cohérence des contenus que le Musée de la civilisation diffuse sur le web et dans les médias sociaux. J’y suis chargé de projet et stratège en engagement numérique.
Mais je suis surtout bien inconscient de ce qui m’attend!
Je vous propose ici une incursion dans l’univers du Musée durant les premiers mois de la pandémie : notre obsession à maintenir une offre de service pertinente pour nos concitoyennes et concitoyens, les changements radicaux que cette quête a occasionnés en nous, et l’attention médiatique que tout ça nous a procuré. Suivez-moi!
– Jean-Philippe Maxime Tittley – chargé de projet numérique
On croirait que dix ans nous séparent de ce premier samedi de confinement, passé à mettre en œuvre le plan de communication de la fermeture temporaire qui nous était imposée. En marge de mes tâches, je me demandais comment j’adapterais nos prochaines publications à ce nouveau contexte. Et plus la journée filait, plus je me disais qu’il faudrait simplement tout recommencer. Soupir!
Tôt le lundi suivant, un appel-conférence nous permettait de faire le point : ça ne faisait aucun doute, nous voulions être là pour notre communauté. Mais bien vite, il a fallu nous demander ce que ça pouvait bien vouloir dire, « être là pour notre communauté », alors que nous étions nous-mêmes en confinement, enfermés à la maison.
Les arts, la culture, ça fait du bien, non? Ça donne un sens à la vie, pour certains. Dans un contexte où chacun s’inquiète et s’ennuie, la première des choses à faire pour notre communauté, c’était évident, devait être de lister nos contenus numériques et de les rendre disponibles à qui voudrait bien en prendre connaissance. Ça a été dit comme ça, je ne sais plus par qui : « et si on offrait aux gens la chance de passer chaque jour l’équivalent d’ “une heure au musée”, pour se désennuyer, être stimulé, découvrir des choses…? »
L’idée était née. Et elle semblait bonne, énoncée de la sorte, mais rien n’est jamais si simple : nos contenus numériques sont pour la plupart des compléments à nos expositions, et perdent de leur pertinence sans cette mise en contexte. Et notre site web, il fonctionne au charbon tellement il est vieux. Impensable d’y intégrer tout plein de contenu sans risquer l’effondrement. Il fallait vraiment tout recommencer. Re-soupir!
J’ai esquissé un projet, ce soir-là. Et si on mettait sur pied un simple site WordPress, facile à naviguer, dans lequel partager nos contenus numériques, mis en contexte sur un ton plus excitant, familial? Un blogue, en quelque sorte, avec une ou deux nouvelles entrées chaque jour! Et comme je ne suis pas trop du genre à attendre qu’on m’autorise les dépenses, je me suis mis au travail, tout seul, sur-le-champ!
Au même moment, quelques collègues estimaient qu’il était plus que temps que nos expositions soient numérisées et accessibles en réalité virtuelle (VR). Des démarches ont donc été entreprises pour envoyer un contractant – un seul homme! – relever avec son appareil photo 3D chacune des salles du Musée de la civilisation, vides de leur fréquentation habituelle, dès le samedi suivant! J’insiste… le samedi.
De sorte que, trois jours plus tard, non seulement avions-nous un nouveau blogue, mais des visites 3D de nos expositions étaient en préparation! Ceci dit, soyons sérieux, le site web était confus et hideux. Et le Musée de la civilisation, comme d’innombrables autres musées, proposait du contenu accessible depuis la maison. Original! Pertinent! Et, au fait, pourquoi les gens exploreraient-ils notre liste plutôt que n’importe quelle autre liste, comme il s’en publiait chaque jour dans les journaux?
Il fallait viser un peu plus haut.
Le Musée de la civilisation est tout de même un musée national, généralement perçu comme un leader innovant. Si nous proposions aux gens de passer virtuellement « une heure au musée », est-ce que ça ne devait pas pouvoir être le musée de leur choix? Il fallait inviter d’autres organisations à se joindre à nous.
Nous avons fait quelques fonds de tiroir, et appelé en renfort une agence web : « Voici notre petit projet, aidez-nous à en faire un grand! » Et ils ont répondu à l’appel. Leurs designers et programmeurs ont littéralement travaillé jour et nuit! Moins d’une semaine plus tard, notre plateforme « Une heure au Musée » rassemblait des articles, balados, conférences, panels et démonstrations scientifiques, jeux et expositions virtuelles pour les internautes de toute la francophonie.
Nous étions fin prêts à ouvrir notre projet à d’autres musées, pour les aider à faire connaître leur offre numérique et remplir du même coup notre promesse d’offrir de nouveaux contenus chaque jour. La plateforme rassemblait en un seul site les contenus de tous les partenaires, puis redirigeait les internautes vers les pages de chacun. Les recherches s’en trouvaient facilitées, grâce à un important effort en optimisation de recherche (SEO) et à notre outil de segmentation thématique, par groupe d’âge, etc. Rien de tout cela n’aurait été possible si la diffusion s’était limitée à nos médias sociaux respectifs, ou si les contenus n’avaient été rendus disponibles que sur les sites web des différents musées. En somme, tant Google que de vrais humains découvriraient plus facilement des contenus culturels pertinents!
Déjà, tout ceci nous enseignait l’importance d’agir rapidement, même alors que nos idées n’étaient pas tout à fait abouties. Qui plus est, la portée d’une action unilatérale était limitée, mais en regroupant nos efforts, plusieurs organisations y gagnaient. C’est un euphémisme, si on considère la portée obtenue par la mise en commun de nos différents abonnés, contacts et adeptes dans les médias sociaux. Et comme nos nouveaux partenaires dans ce projet étaient disséminés sur l’ensemble du territoire québécois, les médias en ont fait grand cas, et ce dès le 25 mars!
En quête de pertinence et d’engagement
Une question, cependant, nous hantait. Était-ce la bonne manière d’« être là pour notre communauté »? Une enseignante, par exemple, se contenterait-elle de divertir son élève qui passe un mauvais quart d’heure? Ou tâcherait-elle de l’aider à trouver un sens aux événements qui l’accablent? À tout le moins, elle reconnaîtrait la validité de son vécu; ne devions-nous pas faire de même?
Qui plus est, la pandémie allait constituer un moment bien particulier de l’histoire. Comme nous le rappelait alors une collègue bien avisée, le Musée de la civilisation est un musée de société et à ce titre devait documenter le vécu citoyen et recueillir la culture matérielle associée à la pandémie. Il nous fallait apprendre sur l’expérience que vivaient nos concitoyens et concitoyennes, apprendre de leurs émotions et comprendre comment ces événements s’inscriraient dans l’histoire. Nous devions identifier les artéfacts à collectionner. L’histoire s’écrivait devant nos yeux, il fallait y porter davantage attention pour la postérité!
Renvoyés à la table à dessin (vous ai-je bien dit qu’il fallait toujours tout recommencer?), nous avons rapidement développé une nouvelle section de notre site web : « Documentez la pandémie! » Ici, les citoyens étaient invités à partager leur nouvelle réalité. On pouvait répondre à une question, envoyer des photos, des illustrations ou tout ce que nous imaginerions demander. En quelques jours, nous avons reçus des dizaines de témoignages. Clairement, les gens avaient besoin de s’exprimer sur ce qui leur arrivait.
Enfin, nous faisions ce qu’un musée doit faire durant une pandémie!
C’est du moins ce que nous croyions, mais les doutes ont vite refait surface. Certes, nos deux initiatives rassemblaient une variété de contenu distrayant et instructif, en plus d’inviter les gens à nous transmettre leurs histoires. Nous renforcions nos relations avec d’autres musées. Nous jouissions d’une grande visibilité, d’une portée impressionnante, et nous documentions l’expérience citoyenne.
Pourtant, nous ne développions pas exactement une relation profonde avec nos visiteurs en ligne. D’abord, il n’y avait aucun incitatif à revenir sur le site après la première visite, alors que le contenu s’étoffait de jour en jour. Ensuite, le tout s’inscrivait dans une approche de communication on ne peut plus traditionnelle, autoritaire, avec une seule rétroaction possible. Nous étions bien loin d’un modèle conversationnel d’engagement.
C’est à ce moment que nous avons adopté, plutôt que la perspective d’un enseignant, celle d’un ami. Si vraiment nous voulions « être là » pour les gens, nous devions leur tendre la main. Nous devions leur écrire, leur parler directement, sur le bon ton, à propos de leur vécu et de ce qui leur importait.
Il nous fallait garder à l’esprit cependant que le Musée avait encore ses propres enjeux économiques, ses impératifs de croissance, ou de maintien à tout le moins – en d’autres mots, nous devions maintenir notre ordre du jour. Notre mission surpasse le seul divertissement; il s’agit d’instruire sur différents aspects de notre civilisation, de conserver et présenter des objets. Avec ces motivations en tête, nous avons ajouté deux nouvelles fonctionnalités à notre plateforme : les Rendez-vous et l’abonnement.
Les premiers consistaient en des diffusions vidéo en direct d’une trentaine de minutes, accessibles depuis Facebook ou le site, que nous présentions comme des événements à ne pas manquer. Avec légèreté (hormis durant les nombreuses difficultés techniques…), j’échangeais avec des collègues, qu’il s’agisse des maitres d’œuvres de nos expositions ou de conservateurs, sur des sujets aussi instructifs que fascinants, comme des illustrations de la Rome antique – question de rêver des voyages qui nous étaient alors interdits. Pour discuter des meilleures pratiques en matière de collectionnement, nous avons même invité un collègue archiviste à nous présenter sa collection personnelle de distributeurs de bonbons PEZ! Et nous avons, bien entendu, offert cette visibilité à nos partenaires également, dont certains ont saisi l’opportunité.
Le second ajout consistait en un formulaire d’abonnement pour recevoir par courriel de l’information sur les nouveaux contenus proposés dans la plateforme. Nous aurions bien sûr pu ajouter ces nouveaux abonnés aux destinataires de nos listes de diffusion habituelles, mais nous souhaitions que ces courriels soient différents, plus amicaux et attentionnés. Par ailleurs, nous y présentions des contenus en provenance d’autres musées et nous souhaitions pouvoir leur transmettre la liste d’abonnés s’ils nous en faisaient la demande. Nous avons donc mis en place un système parallèle d’envois massifs.
Un jour sur deux environ, je me réveillais plus tôt pour écrire à ces destinataires – bientôt mille –, en leur faisant part des nouveautés qui leur étaient accessibles, tout en effleurant les actualités de la veille, tâchant de prendre le pouls de notre société et d’y répondre adéquatement.
Ces courriels étaient signés et envoyés de ma propre adresse professionnelle – d’abord par erreur, mais nous nous sommes vite aperçus que cela servait nos fins. De fait, j’ai commencé à recevoir des réponses de temps à autre, la plupart nous remerciant simplement d’« être encore là en ces temps difficiles ». C’est à ce moment que j’ai compris que nous avions atteint notre objectif, être là pour nos concitoyens et concitoyennes, en leur proposant des contenus qu’ils trouvaient utiles, pertinents, intéressants.
Nous avions alors un « système » parfaitement fonctionnel, incluant une offre de contenu bien organisée, du divertissement en direct, et même du matériel éducatif! Et la communication était bidirectionnelle : les gens pouvaient nous raconter leurs histoires, échanger avec une vraie personne par courriel, ou rejoindre un chat en direct pendant les diffusions vidéo. Et plus nous développions la plateforme, plus les médias s’intéressaient au projet. Et plus ils en parlaient, plus nos consœurs et confrères d’autres musées souhaitaient se joindre à l’initiative; nous avons regroupé jusqu’à onze musées en tout.
Chemin faisant, nous poursuivions nos apprentissages : même une grande organisation (ou un groupe d’organisations) peut faire preuve d’authenticité. Qu’une personne l’incarne, avec son humour, ses faiblesses et ses intérêts propres facilite la chose, mais la marge est vite franchie entre « représenter l’organisation avec authenticité » et « se faire valoir ». J’aimerais beaucoup dispenser ici quelques conseils à cet égard, mais il me faut bien admettre que je n’aurai pas toujours réussi… Ça demandera davantage de réflexion!
Un ogre à nourrir
Nous en étions à la mi-avril, plutôt satisfaits de toutes ces initiatives, de l’engagement et de la notoriété qu’elles nous apportaient ainsi qu’à nos partenaires. Toutefois, ce projet mettait énormément de pression sur l’ensemble des équipes du Musée.
Il fallait remplir notre promesse d’une offre renouvelée quotidiennement, assister les musées partenaires dans l’adaptation à la plateforme de leurs contenus et compenser les failles des nôtres, majoritairement conçus comme compléments à nos expositions, rappelons-le. C’était beaucoup de travail, alors même que nous ne savions pas si le Musée allait rouvrir, ni quand, ni s’il fallait poursuivre le développement de nos projets réguliers.
Notre petite équipe de la Direction de l’engagement numérique avait sérieusement besoin d’un coup de main – nous manquions de perspective. Nous ignorions souvent quel contenu développer, ou même ce que nous avions en banque sans l’avoir encore diffusé. En avril, nous avons donc mis sur pied un comité réunissant des membres de toutes les équipes du Musée pour identifier et développer les contenus les plus engageants.
Agissant comme leader au sein de ce comité, j’entendais chaque semaine des phrases comme « Vous pourriez publier ce superbe objet de nos collections! » ou « Pourquoi ne pas organiser un Rendez-vous avec une conservatrice à propos de tel ou tel artefact présenté en exposition? ». Et il me fallait constamment rappeler qu’un superbe objet n’est pas un contenu numérique en soi. Qu’avons-nous à dire à son sujet? En quoi est-ce important pour les gens qui nous liront? Est-ce qu’on a des photos? Qui écrira le texte? Est-ce que quelqu’un peut m’indiquer de quoi je vais m’entretenir pendant 30 minutes avec la conservatrice ? Rendus là, il faut bien l’admettre, mes collègues immédiates et moi nous sentions dépassés, et passablement fatigués.
Néanmoins, nous progressions. À mesure que les propositions s’accumulaient dans « Une heure au Musée », il devenait moins impératif de nourrir la plateforme chaque jour. Et nos collègues commençaient à comprendre ce que nous attendions d’elles et eux; les exemples d’idées embryonnaires déjà transformées en contenus numériques permettaient aux membres de l’équipe d’imaginer comment mieux développer leurs idées avant de les soumettre au comité. En mai – environ deux mois après le lancement de « Une heure au Musée » – plusieurs de nos collègues avaient acquis une meilleure compréhension de ce qui constitue ou non un contenu numérique. Elles et ils suggéraient désormais des idées pertinentes, véritablement réfléchies pour le web et pour différents publics, tout en prenant conscience du rythme effréné qu’impose ce monstre insatiable que peut être Internet! On décelait même dans l’œil de quelques collègues l’ambition de relever le défi d’alimenter la bête.
Nous savons maintenant qu’il s’agissait de la première véritable « transformation numérique » à prendre place durant ce projet. Pour preuve, certaines équipes ont pris un pas d’avance et ont spontanément développé une programmation entièrement numérique pour l’automne 2020. Quant à la plateforme elle-même, d’autres collègues avaient une idée claire des moyens d’assurer sa pérennité, d’approfondir notre relation avec les différents publics, et de renfoncer leurs compétences numériques. Clairement, il fallait persévérer!
Le miracle du « UGC »
Tandis que nous déchiffrions mieux les attentes de nos concitoyennes et concitoyens, nous prenions aussi conscience de leur envie de raconter leurs histoires. Chaque semaine du printemps 2020, nous recevions entre 30 et 300 réponses à notre question « Documentez la pandémie! ».
Entre temps, les équipes du Musée avaient pu préciser leurs intentions et orienter le développement de contenu pour faire de la plateforme un lieu d’échange avec notre communauté. Nous posions une différente question chaque semaine, liée à l’actualité ou à des aspects plus précis du confinement : « Qu’est-ce qui vous manque le plus? », « Que pensez-vous du déconfinement? », « Comment imaginez-vous vos vacances d’été? ». Les réponses reçues inspirant de nouvelles questions, nous avions véritablement le sentiment de correspondre avec les membres de notre communauté.
Or, l’été s’installant, les taux de participation se sont mis à chuter. Nous avons ralenti le rythme et commencé à diffuser quelques réponses dans nos médias sociaux pour nourrir la conversation. Quelques audiences publicitaires ont été ciblées plus spécifiquement : nous voulions favoriser la participation de gens d’âges différents et d’un peu partout dans la province, ou appartenant à un groupe précis comme les travailleurs essentiels.
Et cette conversation, visible, encourageait d’autres citoyens à documenter leur propre expérience, de sorte que le projet a pris vie. Nous n’étions plus désormais les principaux producteurs des nouveaux contenus du site web; c’était l’œuvre du public. De plus, cela nous aidait à raffiner notre compréhension des événements, et ce que nous comprenions surtout, c’est que tout le monde en avait ras-le-bol de cette pandémie!
Parallèlement, nous ressentions de plus en plus l’urgence de procéder à l’acquisition d’objets, avant que tous ces beaux dessins d’arcs-en-ciel qui décoraient les fenêtres au printemps ne finissent à la poubelle. C’est donc juste avant l’arrivée de l’automne que nous avons lancé l’appel à objets. Pour encourager les dons de dessins et autres objets, nous avons sollicité des artistes, restaurateurs, journalistes et autres personnalités publiques. Nous leur avons demandé de nous offrir leurs artefacts de la pandémie et avons réalisé six vidéos à grande vitesse. Puis, tant qu’à y être, nous avons décidé d’en faire une exposition.
Le Musée avait rouvert quelques mois auparavant et la fréquentation était encourageante. En moins d’une semaine, la chargée de projet de l’exposition et son équipe ont monté une exposition de quelques quinze objets, présentés dans une vitrine installée dans le hall du Musée. Jamais nos équipes n’avaient créé une exposition en si peu de temps, mais nous connaissions bien notre sujet pour y avoir travaillé des mois durant. La vitrine mettait en vedette des objets aussi variés qu’une carte de presse de l’Assemblée nationale, une bouteille de désinfectant d’une distillerie locale qui s’était réinventée pour la cause, des macarons du Festival d’été de Québec, dont l’édition 2020 n’a pu être tenue, et une casserole contenant un vrai de vrai pain, concocté par le chef Ricardo, qui a redonné le goût de la cuisine aux Québécois durant le confinement. De plus, deux pièces d’artisanat réalisées par des femmes commémoraient les dessous tragiques de cette pandémie
Nous avons invité les journalistes à voir l’exposition et cela a été un franc succès tant dans les médias sociaux que traditionnels. Les images de la vitrine et les six vidéos ont été vues par des dizaines de milliers de personnes et le Musée a reçu tout près de cent propositions d’objets supplémentaires. Parce que, bien entendu, nous sommes encore un Musée et encore intéressés aux artefacts.
La boucle était bouclée!
Mais rappelons les débuts de toute cette aventure : nous étions convaincus de devoir « être là pour notre communauté », et nous avons multiplié les approches pour ce faire. Nous avons beaucoup parlé, c’est vrai, mais au final nous avons surtout écouté, questionné. Nous nous sommes questionnés. Nous avons cherché à comprendre. Et tout est tombé en place presque tout seul, dès lors que nous avons suivi nos intuitions profondes. Avec empathie. Le contenu généré par les utilisateurs (UGC) a véritablement fonctionné, pour une fois au Musée, et nous pouvions nous concentrer sur ce que nous savons faire le mieux : expliquer tout ça.
Ce qui s’explique et ce qui relève de la poésie
Pour qui lit ce texte, il semblera évident que nous avons simplement fait ce qu’il y avait à faire. N’importe qui observant rationnellement la situation en serait probablement venu aux mêmes conclusions que nous, plus rapidement. L’enjeu, c’est que pour la majorité d’entre nous, cette pandémie est une première! C’est aussi le premier et – permettez-moi un peu d’espoir – le seul confinement que nous aurons à vivre.
Autrement dit, bien qu’avec le recul, nous puissions facilement expliquer notre démarche, ce qui s’est réellement passé était une expérience transformatrice pour quiconque y prenait part. Une histoire de résilience et d’apprentissages successifs, sur nous-mêmes, travailleuses et travailleurs du milieu muséal, citoyennes et citoyens, et sur notre société.
Le Nobel de littérature William Butler Yeats écrivait que « Tout ce qui peut être expliqué n’est pas de la poésie ». Laissez-moi maintenant vous parler un peu de poésie.
Alors que le Premier ministre du Québec nous répétait « Ça va bien aller » quotidiennement en conférence de presse, les préoccupations citoyennes étaient bien perceptibles dans les témoignages que nous recevions. Les gens acceptaient, s’adaptaient aux recommandations de plus en plus restrictives de la santé publique, mais alors qu’ils en étaient privés, ils mesuraient beaucoup mieux l’importance du contact humain. Cependant, ce ralentissement imposé dans toutes les sphères de leur vie semblait leur faire du bien et le recul permettait d’envisager le rythme effréné de leur quotidien. C’était l’occasion de prendre du temps en famille, de prendre son temps, tout simplement. Les milliers de témoignages que nous avons reçus exprimaient aussi une grande empathie pour celles et ceux qui étaient aux prises avec le virus et les personnes endeuillées.
J’ai souvenir de collègues racontant avoir pleuré en lisant des témoignages. Les histoires que nous recevions transformaient notre compréhension de la pandémie et de ses effets sur la jeunesse ou sur nos aînés. Cela influençait nos décisions ultérieures, puisque nous réalisions que ces histoires étaient d’intérêt pour le plus grand nombre et méritaient d’être diffusées immédiatement.
On pourrait encore expliquer ces choix par une forme d’opportunisme bienveillant ou simplement par une certaine perspicacité; nous n’en sommes pas encore tout à fait arrivés à la poésie.
Cependant qu’à mesure que nous lisions les témoignages, nous sentions que nous soutenions les gens à travers leurs difficultés. Certains jours, nous avons même senti que nous n’étions plus seulement des travailleurs de musée; nous devenions des personnages compatissants, impliqués personnellement dans leurs récits – et ça, c’est de la poésie!
J’ai moi-même mieux compris ce que nos conservateurs et l’équipe des expositions attendaient, quand ils disaient vouloir recueillir « des objets qui racontent une histoire » ou qui ont pris un nouveau sens durant la pandémie. Ces collègues, en retour, ont mieux compris le ton des récits engageants que notre équipe voulait partager dans le site web et les médias sociaux – des outils dont les conservateurs, jusque-là, s’étaient habituellement tenus loin. Désormais, ces mêmes outils les aidaient à faire leur travail, alors qu’il leur était devenu impossible de parcourir la province pour rencontrer des donateurs. Certains ont même su en tirer profit et y voir l’occasion de développer des liens avec une plus grande variété de donateurs. Nous devenions tous plus conscients du rôle de chacune et chacun. Ça aussi, c’est de la poésie.
Plusieurs musées de par le monde ont, comme nous, agi dans une relative urgence dès le début des confinements et ont mis sur pied une panoplie d’initiatives. Ceci dit, à notre connaissance, peu ont travaillé en même temps sur autant de fronts que nous : proposer une grande variété de contenus, initier et poursuivre des échanges avec la population, tisser de nouveaux liens avec d’autres organisations muséales, ajouter aux collections des témoignages aussi bien que des objets, préparer une exposition et, dans un même mouvement, inspirés par nos concitoyennes et concitoyens, apprendre ce que peut être notre rôle à titre de travailleuses et travailleurs du milieu muséal en des temps particulièrement difficiles.
Bon! Ça, ce n’était peut-être pas de la poésie, mais c’était assurément une belle synergie! Qui s’installait en partie grâce à cette fameuse « transformation numérique ».
De tout cela, nous pouvons maintenant conclure que la dernière d’une longue série de leçons apprises depuis mars 2020 est que le rôle du Musée de la civilisation n’était peut-être pas tout à fait d’« être là pour notre communauté ».
C’était plutôt d’« être là avec notre communauté ».
Produit dans le cadre de la participation du Musée au Museumnext 2021