10 janvier 2025 Jean-François Leduc, le collectionneur du monde de la lutte
Par Raymond Poirier
En moyenne, une exposition au Musée de la civilisation rassemble de 250 à 300 objets. Lutte. Le Québec dans l’arène, elle, en compte près de 500.
Si elle en réunit autant, c’est en bonne partie grâce à la contribution de l’ex-lutteur et collectionneur Jean-François Leduc. À lui seul, il a prêté 418 objets à l’équipe du Musée, dont 393 sont exposés!
À la recherche de la perle rare
Il faut dire qu’avant de le rencontrer, l’équipe du Musée faisait la ronde des sites de vente et d’enchères en ligne. L’idée était de consacrer une portion de l’exposition aux objets acquis par ces Québécois et Québécoises qui faisaient le chemin vers les États-Unis pour assister aux grands événements de lutte dans les années 1980 et 1990. « Ça nous prenait une zone qui flashe, qui montre l’éventail de la marchandise, des produits dérivés qui auraient pu être mis en vente dans les arénas à l’époque, et voir ce qu’un amateur de lutte pouvait avoir chez lui », explique le conservateur Vincent Giguère.
Rapidement, il se rend compte que l’idée de dénicher des objets à la pièce serait une mission aussi coûteuse en temps qu’en argent.
Il fallait donc se tourner du côté d’un collectionneur. C’est ainsi que les experts, participant à la réalisation de l’exposition, le dirigent vers Jean-François Leduc.
Un premier contact est fait et dès les premières discussions, l’intérêt est là, les objets aussi – et plus encore !
« Participer à une exposition comme celle-là, ça me permet de boucler la boucle avec ma collection, de redonner au public une accessibilité à ces figurines, à ces objets. J’espère qu’il va pouvoir les apprécier autant que moi ! Et puis, comme c’est principalement du stock vintage des années 1980, ça m’a permis aussi de prendre des décisions sur le reste de ma collection – vendre ou donner ! », explique M. Leduc.
La piqûre de la collection
C’est un peu par hasard que Jean-François Leduc a commencé à collectionner.
« Je suis un enfant des années 1980 qui a pas mal été gâté par ses parents. Plus jeune, j’avais des collections entières de La Guerre des étoiles, de superhéros, de lutte. À un moment, mes parents ont décidé de tout vendre ou de donner, mais ils m’ont offert de garder une collection. J’ai choisi celle de la lutte. » À 14 ans, il remise ses figurines et les oublie pendant un temps. « Plus tard, dans ma vie de jeune adulte, je suis allé récupérer des choses chez mes parents… et, surprise, il y avait le fameux bac avec mes figurines de lutte. »
Jean-François Leduc remarque que la plupart de ces figurines sont issues de la même série produite par LJN. Il décide donc d’acquérir les quelques figurines qu’il lui manque pour compléter sa collection en fouillant sur le web. Il attrape la piqûre.
« Et ça ne s’est jamais arrêté ! », lance-t-il en riant.
Cependant, il ne faut pas tirer dans toutes les directions. Pour Jean-François Leduc, il est important de savoir se limiter et surtout, de cibler. Il y a de tout, de toutes les époques, allant des séries de jouets aux véritables ceintures de championnat. C’est un univers riche en opportunités. « D’un domaine d’intérêt à l’autre, on voit que le collectionnement est une folie qui a pris des proportions incroyables, elle a quand même fait revenir les vinyles ! Les gens aiment collectionner, partager leurs collections. En fait, c’est permis aujourd’hui de montrer ses passions ! », lance le collectionneur.
De collectionneur de lutte… à lutteur professionnel!
Pour Jean-François Leduc, la passion de la lutte ne s’est pas arrêtée seulement à la collection. Il a également tenté sa chance sur le ring sous le nom de scène Firestorm.
« Je me suis nommé comme ça pendant 15 ans. Je portais un maquillage flamboyant, je crachais du feu. J’étais un gentil. Les jeunes trippaient sur ma gimmick. J’ai vendu pas mal de casquettes, de chandails. C’était vraiment le fun. Un beau 15 ans pendant lequel j’ai gagné 15 titres. Un beau jour, je me suis dit que je devais arrêter ça là avant de me blesser un peu trop. Dans la lutte, les blessures font partie de la décision : on continue ou on arrête. J’ai choisi d’arrêter. »
Ce passage dans l’arène a changé son regard sur sa collection.
« Quand tu deviens lutteur, quand tu connais les trucs du métier, tu es moins enclin à aller voir un show ou à l’écouter à la télévision. Ça n’enlève pas la magie de la lutte, mais ça te la fait vivre sous une autre perspective. Je préfère aujourd’hui être impliqué d’une façon différente, dans les coulisses plutôt que devant la foule. »
Sa collection reflète d’ailleurs, de façon particulière, la période où il était simple fan, dans les années 1980 et 1990.
L’âge d’or des années 1980
Lutte. Le Québec dans l’arène visait justement à explorer cette période, cet « âge d’or » de la lutte professionnelle où les Hulk Hogan, Ultimate Warrior ou Macho Man étaient des icônes et où de multiples lutteurs et lutteuses d’origine québécoise figuraient sur la carte : Vivian Vachon, Tiger Jackson, Little Beaver, les Rougeau, Dino Bravo, Rick Martel…
Dans l’exposition, prenez le temps de scruter les vitrines consacrées à WrestleMania III et WrestleMania VI situées à la fin du parcours. C’est là qu’est rassemblée la majeure partie des objets prêtés par Jean-François Leduc et où l’on retrouve quelques véritables « trésors » de collectionneurs, allant des figurines rares aux éditions très, très limitées.
Des objets sans prix
Cependant, ce ne sont pas les figurines qui ont la plus grande valeur sentimentale pour Jean-François Leduc.
La palme revient sans hésitation à la vitrine dédiée à Tiger Jackson. « En 1984, Tiger Jackson s’est retrouvé sur la même carte à collectionner historique où Hulk Hogan a battu l’Iron Sheik pour sa première ceinture mondiale. La petite cape tigrée que Jackson portait à cette occasion, c’est elle qui est en vitrine au Musée de la civilisation. » Leduc a rencontré le lutteur nain, il y a une décennie, lors du tournage de La Théorie du K-O. Ils ont gardé contact. « Un beau jour, il m’a dit qu’il voulait vendre ses trucs. Je lui ai répondu que la meilleure place pour que ses objets soient mis en valeur, c’était chez-moi. Ses bottes, sa cape tigrée, son maillot, tout ça, ce sont de belles pièces historiques qui, pour moi, n’ont pas de prix ! Ses bottes lui ont servi pendant une vingtaine d’années. On peut juste imaginer sur combien de rings, dans combien de pays elles se sont retrouvées… et combien d’adversaires elles ont affrontés ! »
Durant ses années de lutteur, Leduc avait pris l’habitude d’apporter, en coulisses, ses figurines et ses objets pour les faire autographier. Au début avec la gêne et la peur de déranger jusqu’à ce qu’il rencontre Terry Funk, une légende de la lutte américaine, qui a été actif pendant plus de 50 ans. Jean-François lui faisait signer, vite fait, des figurines et objets. « Je me dépêchais à les remettre dans mon sac pour le laisser à ses occupations. Lui, il voyait bien que je ne profitais pas du moment ! Sur une des figurines, il a signé Batman. Quand il a vu que je l’avais rangée sans même la regarder, il était crampé. Ça m’a donné une leçon : il faut profiter de ces moments-là, comme amateur, et les lutteurs, eux, retirent une fierté de ce partage. »
Et maintenant au Musée
Montée au fil des années et des rencontres, la collection de Jean-François Leduc s’est vidée fin novembre 2023. Du moins, un peu ! « Les 418 objets qui ont été empruntés, ça représente 5 % à 10 % de ma collection ! ».
L’équipe du Musée de la civilisation a préparé le tout de façon muséale. Chaque objet a été répertorié, identifié, classé. « Je leur ai dit que j’aurais pu préparer ça en une heure ou deux… Eux, ça leur a pris une journée pour emballer le tout. Ça m’avait bien intrigué à l’époque… ce sont des figurines, des jouets, j’aurais mis ça dans une bin de plastique. Eux, ils ont vraiment pris soin de mes items et ça m’a mis en confiance », indique Jean-François Leduc.
« Tout ça en se disant que l’enfant de 14 ans, qui avait choisi de garder ses figurines, serait bien fier de les voir, aujourd’hui, exposées dans un musée. »
Vous pouvez admirer les objets prêtés par Jean-François Leduc dans l’exposition Lutte. Le Québec dans l’arène au Musée de la civilisation jusqu’au 20 avril 2025.
Lutte. Le Québec dans l’arène
Sautez à pieds joints dans cet univers éclaté et explorez les époques charnières de la lutte, ses personnages et son évolution au Québec avec l’exposition Lutte. Le Québec dans l’arène, conçue et réalisée conjointement avec la compagnie de création Ex Machina et son directeur artistique Robert Lepage.
À propos de Raymond Poirier
Communicateur aguerri, Raymond Poirier travaille depuis plus 2005 dans le milieu des médias et des communications : d’abord comme journaliste et animateur, puis comme rédacteur et conseiller en communications. Il a également, au fil du temps, ajouté l’organisation et la gestion d’événements scientifiques, communautaires ou culturels aux cordes de son arc.